THOMAS SANKARA : Plus qu’un homme politique, un monument

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THOMAS SANKARA : L’HOMME INTÈGRE

« Vivre en révolutionnaire, mourir en révolutionnaire. »

Quelque part à Yako, dans le nord du Burkina Faso autrefois Haute-Volta, une veille de noël  Joseph devenait papa d’un messie. Sa femme donnait naissance à un Thomas. Un Thomas qui est venu non seulement voir, mais vaincre.

Né le 21 décembre 1949, Thomas Sankara est le fils de Joseph et Marguerite Sankara. Thomas fait son primaire à l’école primaire de Gaoua et le destin que lui projettent ses parents et les prêtres, c’est d’être prêtre. Lui qui pour le moment est enfant de cœur à l’Eglise. Mais l’injustice coloniale sonne dans l’oreille de Sankara plus fort que les cloches de l’Eglise. Thomas porte sa croix et décide de continuer les études secondaires au Lycée d’Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays.

Thomas Sankara, le premier au second rang, en faso dan fani, le pagne tissé burkinabè. © Fidèle Toe. «

Garde-à-vous !

Sa foi pour la médecine ne fait pas long feu et c’est en treillis qu’il décide de marquer le nouveau pas de sa vie. Il intègre le PMK, le Prytanée militaire du Kadiogo à Ouagadougou, à partir de la seconde grâce à un concours. Après le Baccalauréat, il suit une formation d’officier à l’Académie militaire d’Antsirabé, à Madagascar. Un Madagascar qui vit  une révolution dans laquelle l’armée joue un rôle déterminant. Ce Madagascar où il reste une année de plus  pour y effectuer un service civique.

En 1976 lors d’un stage au Maroc, il se d’amitié avec Blaise Compaoré au point ou ils deviennent presque des frères. En septembre 1981, Thomas Sankara devient, sous la contrainte et pour six mois, Secrétaire d’État à l’information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo. Mais, comme prévu, il démissionne le 21 avril 1982, et déclare en direct à la radio et la télévision « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ! ».

Garde à vue !

7 mois plus tard, un coup d’Etat porte au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo et Thomas Sankara y est nommé comme Premier Ministre en 1983. Un poste qui lui permet de partir à l’étranger et de rencontrer d’autres dirigeants du monde. Il invite aussi Kadhafi à Ouagadougou, ce qui exacerbe les luttes internes mais aussi attire l’attention des puissances étrangères. Il est limogé et mis aux arrêts le 17 mai, alors que Guy Penne, conseiller de François Mitterrand se rend à Ouagadougou. Pour Sankara, aucun doute, ces deux événements sont liés. Blaise Compaoré refuse de reconnaître le nouveau pouvoir et réussit à rejoindre les commandos de Pô dont il avait pris le commandement sur proposition de Thomas Sankara, lorsque ce dernier était devenu Secrétaire d’État.

Gare à vous !

D’importantes manifestations de lycéens, à l’initiative du PAI (Parti Africain de l’Indépendance) et de l’ULCR (Union des luttes Communistes Reconstruites), se déroulent à Ouagadougou pour exiger la libération de Thomas Sankara, emprisonné à Ouahigouya. Il est finalement ramené dans la capitale et placé en résidence surveillée. Mais il bénéficie de nombreuses complicités au sein de l’armée, et il organise la prise du pouvoir avec ses amis militaires, et les organisations clandestines civiles. Il tente d’intégrer au processus révolutionnaire le PCRV (Parti Communiste Révolutionnaire Voltaïque) qui refuse.

Après plusieurs reports, décision est prise que le 4 août 1983 sera le jour J. Les commandos de Pô, sous la direction de Blaise Compaoré, descendent sur Ouagadougou, tandis que des civils parfois armés guident les militaires à l’entrée de la ville, participent à des missions de renseignements, ou favorisent l’arrivée des militaires, par exemple en coupant le téléphone. Thomas Sankara devient Président de la Haute-Volta.

Le capitaine Thomas-Sankara, président du Burkina Faso-ancien-haute-volta-pose-avec-François-Mitterrand

L’étoile filante

Une fois président, Sankara veut faire de son pays, un pays des Hommes intègres. Il retire les pouvoirs féodaux aux chefs traditionnels. Toute une série de réformes historiques sont entreprises. Il crée le Comité de la Défense de la Révolution, organise la première Semaine Nationale de la Culture à Ouagadougou et construit des logements sociaux. Il change l’hymne national, la devise du pays et le nom des fleuves. Le pays prend le nouveau nom de Burkina Faso. 

Un Burkina Faso qu’il malheureusement ne voit pas se transformer et métamorphiser comme il souhaite. Jeudi 15 octobre 1987,  il est assassiné et son frère d’arme Blaise Compaoré devient président de ce Faso qu’il a arraché avec Sankara. 30 ans plus tard, les jeunes burkinabè s’inspirent de Sankara et pousse Compaoré à la démission.

Aujourd’hui, 31 ans après l’assassinat, la France a déclassifié une partie du dossier Sankara. 31 ans après, les tabloïds burkinabè titrent encore sur l’assassinat de Sankara. 31 ans après, Sankara demeure le modèle d’intégrité pour les burkinabés, pour l’Afrique et même le monde.

THOMAS SANKARA : L’IMMORTEL

« On peut tuer un homme mais pas ses idées. »

Les années sont passées mais l’ombre de Sankara plane encore sur le monde, sur le Burkina Faso. 31 ans après sa mort, Sankara vit encore dans le cœur des burkinabés et inspire autant qu’il le faisait quand il était président. La stèle à son hommage qui sera construite n’est que la face visible d’un iceberg d’amour et de respect que son peuple a pour lui « Nous ne noircirons pas davantage avec des propos tristes et amers. Tournons tous ensemble nos regards vers l’avenir avec confiance et sérénité. Cet espace constituera un environnement assaini et de créativité ouvert à tout homme épris de paix, de fraternité et d’amour d’où pourront être engagées des luttes pour des combats nobles et justes, présents et futurs » rappelle le colonel major Bernard Sanou, président du comité international mémorial Thomas Sankara.

Haute de huit mètres, la stèle sera composée d’une statue géante de cinq mètres, représentant le capitaine Thomas Sankara et autour de cette statue seront également gravées celles de ses douze autres compagnons assassinés. Elle sera construite où il a été assassiné cette après midi du 15 octobre 1987. Pour Abdoul Karim Sango, ministre burkinabè de la Culture, des arts et du tourisme, c’est un devoir que d’œuvrer à rendre hommage à Sankara « cette première pierre  ne doit pas ressembler à ces nombreux projets sans lendemain qui pullulent sur le continent. Sa réalisation exige un engagement de tous » ajoute-t-il.

Un engagement de tous comme Sankara a toujours souhaité de son peuple. Cet engagement que ce peuple a démontré un jeudi d’octobre 2014 en poussant Blaise Compaoré à sa démission. Une fois de plus, un slogan de Sankara a accompagné son peuple, a inspiré la jeunesse «  L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère  ». Cette lutte qu’a livré Sankara toute sa vie.

31 ans après sa mort, Sankara reste vivant. Ses exploits sont racontés dans des livres, ses idées inspirent encore les jeunes « Thomas Sankara et l’Emergence de l’Afrique au 21ème siècle » publiait le Professeur Jean Emmanuel Pondi un 5 février 2016 à Yaoundé accompagné de Mariam Sankara. 31 après sa mort, Sankara demeure le grand qu’il a été et les huit mètres de hauteur de sa stèle qui sera construite matérialise assez sa grandeur et permettra à tous, de passer un moment sous l’ombre de Sankara, du moins, de ce qu’il en reste du Pan-africaniste.

THOMAS SANKARA : RÉVOLUTIONNAIRE FÉMINISTE

« La vraie émancipation de la femme, c’est celle qui responsabilise la femme »

Un 8 mars 1987 Thomas Sankara disait, « Camarades, il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée». Dans ce discours intitulé « La libération de la femme : une exigence du futur » Il emploie 309 fois le mot femme(s). Ce discours, vrai coup de gueule du capitaine Sankara appelle les femmes à assumer leurs rôles dans la société, à elles mêmes prendre les choses en main.  « Je m’en voudrais en tant qu’homme, en tant que fils, de conseiller et d’indiquer la voie à une femme. La prétention serait de vouloir conseiller sa mère. » Remarque t il dans le même discours.

Dans sa lutte féministe, Thomas Sankara ordonne aux hommes de faire le marché chaque 8 mars. Ceci dans le but de montrer aux hommes ce que vivent leurs épouses chaque jour. Un combat pour les femmes qu’il a porté jusqu’au Nations unies. « Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles. Pour ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accueillir toutes les suggestions du monde entier, nous permettant de parvenir à l’épanouissement total de la femme burkinabè. En retour, nous donnons en partage à tous les pays, l’expérience positive que nous entreprenons avec des femmes désormais présentes à tous les échelons de l’appareil de l’État et de la vie sociale au Burkina Faso. » Souligne t il dans son discours du 4 octobre 1984 à la trente-neuvième session de l’Assemblée Générale des Nations-Unies.

Pour joindre la parole à l’acte, Sankara a nommé des femmes à des postes de responsabilité. De ministre des finances à ministre de la culture en passant par ministre du budget, de la santé, du tourisme etc. Il battait ainsi le record des régimes qui l’ont précédé avec 20 %  de femmes dans son gouvernement.  Un gouvernement qu’il a laissé avec 5 femmes à l’intérieur.

31 après sa mort, sa femme ne regrette pas l’avoir connu lui qui, dit elle était si agréable et convivial « Quand je suis revenue à la maison pour déjeuner, Thomas était en train de travailler à son bureau. Après, il est venu me chercher pour que je l’aide à mettre son discours au propre« . Se remémore la veuve de la dernière conversation qu’elle a eue avec son mari. 31 ans plus tard Thomas Sankara vit à travers ces femmes du Burkina Faso qui sont actives socialement.

31 ans plus tard, il y a des hommes qui perpétuent la vision féministe de Sankara, celle d’aller au  marché le 8 mars. 31 ans après sa mort, des femmes sont actives politiquement au point de vouloir être présidente.

THOMAS SANKARA : PLUS QU’UNE RÉVOLUTION, UN ART…

Passionné de musique dès  l’adolescence, Thomas Sankara ne lâche pas sa passion jusqu’à la présidence.

 

Les musiques ont toujours accompagné les révolutions et Sankara dans sa révolution en plus de son arme à feu, avait sa guitare qui l’accompagnait « …Je possède également trois guitares sèches. Je les cite parce que je leur attribue beaucoup de valeur. » Précise-t-il le 19 février devant la Commission du Peuple chargée de la Prévention contre la Corruption déclarant ses biens. Le 4 août 1983, le soir de son coup d’Etat, Sankara envoie chercher son ami Abdoulaye Cissé, musicien et animateur à la radio nationale. Il lui demande remplacer  les chansons qui endorment les gens par des chansons plus engagées parmi elles « Les Vautours », enregistrée en 1980 à Cotonou.

Plus de cent vautours ont plané dans la nuit
Et sur les arbres, autour du village 
Ils se sont perchés attendant le matin
Ils ont surpris toute la cité
Et ravagé tout sur le passage

Les Vautours, explique Cissé, « ce sont les colons qui sont venus s’accaparer les richesses de l’Afrique au prétexte soi-disant de nous civiliser. Ils nous ont rendu notre liberté mais à leur place, de nouveaux colons sont arrivés… la morale c’est que la vraie liberté, ce n’est pas celle qu’on nous a tendue de la main gauche pour nous la retirer de la main droite. La vraie liberté, on l’arrache.»

Son amour pour la musique, il l’a depuis son adolescence. « Quand il arrivait, j’allumais une guitare électrique pour lui. Mais dans le fond, je ne voulais pas l’apprendre parce que les parents n’aimaient pas que leurs enfants deviennent musiciens. Nous étions considérés comme des voyous. » Affirme Pascal Ouédraogo au journal LeFaso.net. Mais Sankara est dévoué et Pascal est surpris de  voir Sankara jouer à un bal de fin d’année de l’Ecole Normale, aujourd’hui lycée Bogodogo.

Sankara avant d’être président a crée un orchestre dénommé Missil Band, dans lequel il jouait. Une fois président, il confie la création de deux orchestres à deux musiciens connus de l’époque, Maurice Simporé et Abdoulaye Cissé et ne peut s’empêcher de les rejoindre à certaines répétitions.

Né le 21 décembre à Yako en Haute-Volta, Thomas Sankara est assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou. Une mort qui sonne comme une fausse note pour certains. Un Sankara ressuscité à travers musiques et concerts. De Cheick Lo à Samsk Le jah, de Tiken Jah Fakoly à Alpha Blondy. Sankara à travers la musique qu’il a tant aimée revit et, aujourd’hui, rien ne matérialise son amour pour la musique comme cette photo de lui assis en treillis béret rouge sur la tète, sa guitare entre ses bras.

Fadel Mohamed

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