Lutte contre le paludisme au Cameroun: Le Cadre National Multisectoriel pour quelle efficacité ?
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11e pays le plus touché par le paludisme au monde, le Cameroun est le premier pays en Afrique de l’ouest et en Afrique Centrale à avoir élaboré et validé un cadre multisectoriel de lutte contre le fléau sanitaire. Ayant pour objectif de réduire de 75% la morbidité et la mortalité liées au paludisme d’ici 2028, la stratégie multisectorielle présente des axes clés à prendre en compte pour son effectivité et son efficacité.
Avec un taux de prévalence de 26,1% en 2022, plus de 2 millions de cas et 1756 décès causés en 2023, le paludisme constitue l’une des principales causes de morbidité et de mortalité au Cameroun, notamment chez les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. Pour accentuer la lutte contre cette maladie, la nécessité d’une approche différente et plus efficace s’est imposée. « La réponse actuelle du gouvernement pour faire face au paludisme est contenue dans le Plan stratégique national de lutte contre le paludisme 2024-2028, qui est structuré autour de quatre piliers. Un pilier sur l’engagement politique au niveau national et communautaire pour mobiliser les financements et les autres ressources nécessaires. L’utilisation stratégique de l’information pour prendre des décisions et pour mener des actions programmatiques ; le choix des meilleurs directives politiques de lutte et puis la coordination de la réponse », explique le Dr Jean FOSSO, Secrétaire Permanent Adjoint du Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP). L’implémentation de ces quatre piliers de la lutte anti-paludisme nécessite une plus grande implication d’où l’élaboration et l’adoption du Cadre National Multisectoriel de Lutte contre le Paludisme (CNMLP) au Cameroun. Le document stratégique vise à coordonner les efforts de différents secteurs et acteurs pour lutter contre le paludisme ; il repose sur une approche intégrée et multisectorielle pour réduire la prévalence et l’impact de la maladie au Cameroun.
Présenté par le Ministre de la santé publique (MINSANTE), le Dr Manaouda Malachie comme « une boussole, un véritable guide d’actions multisectorielles et de mobilisation des ressources élaboré et validé avec la participation et le consensus de toutes les parties prenantes », ce cadre est le résultat d’une collaboration entre les acteurs du système de santé camerounais et les administrations partenaires. Il vise à l’impulsion d’un travail en synergie, à une implication des départements ministériels, des parlementaires, des collectivités territoriales décentralisées, des partenaires financiers et techniques, des Ong, les organisations à base communautaire et la société civile, pour mieux combattre la maladie car, il a été établi que cet enjeu ne saurait être réussi par la seule implication du Ministère de la Santé publique.
Impliquer les secteurs non sanitaires dans la lutte
L’Organisation Mondiale de la Santé prescrit une synergie d’actions, la prévention et le contrôle du paludisme n’étant pas l’apanage du seul secteur de la santé. En effet, d’autres secteurs peuvent compléter leurs efforts par des mesures qui tiennent compte des déterminants sociaux, économiques et environnementaux du paludisme et qui s’intègrent dans les politiques, plans et pratiques spécifiques à chaque sectoriel. Au Cameroun par exemple, les ministères en charge de l’Éducation pourraient mettre en place des programmes scolaires essentiellement axés sur la lutte contre le paludisme. Les ministères de l’Environnement et celui de l’Habitat pourraient travailler sur l’assainissement. Le ministère de l’Agriculture et du Développement rural pourrait sur la révision des types de pesticides qui ont un effet sur les moustiques, entre autres. « Depuis la mise en place de la structure Roll Back malaria, le ministère de la Santé Publique avait toujours impliqué d’autres ministères. Mais cette implication n’était pas tout à fait effective parce que les autres administrations ne percevaient pas de manière claire leur rôle à jouer dans le cadre de la lutte. Avec la mise en place d’un document multisectoriel, chaque partenaire sait désormais quel est son domaine d’intervention dans le cadre de la lutte contre le paludisme », précise le Dr Hamida Yacoubou de la Direction de la Division de la Coopération du MINSANTE. Compte tenu des chiffres liés au paludisme ces dernières années (plus de deux millions de cas répertoriés en 2023), il était urgent pour le Cameroun de suivre le mouvement en s’arrimant à cette approche qui a fait ses preuves en Chine, pays qui a vaincu le fléau. « Nous avons les pays comme la Tanzanie, le Rwanda, qui ont déjà mis en place un cadre multisectoriel de lutte contre le paludisme. Dans ces pays, chaque administration essaie de remplir son cahier de charge en ce qui concerne la lutte contre le paludisme. Pour le moment, ces pays n’ont pas encore éliminé le paludisme. Nous avons d’autres pays comme la Chine, qui a éliminé le paludisme en mettant en place un cadre multisectoriel », confie le Dr Hamida Yacoubou.
Selon le Guide d’action multisectoriel pour en finir avec le paludisme, la multisectorialité contre le paludisme renvoie au fait que les secteurs ciblés prennent conscience de leur rôle, quel qu’il soit dans la transmission du paludisme ; que ceux-ci collaborent avec des partenaires d’autres secteurs afin d’identifier les possibilités d’action et de changements à leur échelle, mettent en œuvre les actions multisectorielles identifiées au sein de leurs organisations ou en externe pour conduire à l’éradication du Paludisme. Au Cameroun, il est donc question que la machine qui a effectivement été mise en marche par la production du document stratégique, soit propulsée par chacune des parties prenantes. « Pour l’instant, les ministères ont travaillé avec nous sous le leadership du Ministère de la santé et du Programme National de Lutte contre le Paludisme à élaborer ce cadre multisectoriel, à organiser une séance de validation avec les secrétaires généraux des ministères impliqués et invités. À ce stade, il y a un plan de développement des actions opérationnelles parce que là, nous sommes dans le cadre stratégique qui donne les orientations sur ce qui doit être fait par chaque ministère », explique Olivia Ngou, Directrice Exécutive de l’ONG Impact Santé Afrique, partenaire technique dans la lutte.
En septembre 2024, sur 21 ministères répertoriés, 09 ont déjà déroulé leur plan d’action multisectoriel de 2024 à 2025, y compris le Groupement des entreprises du Cameroun (GECAM). Pour ces ministères dont les activités sont pour la plupart d’ordre préventif (campagne de sensibilisation, éducation, formation, etc.), le Cadre National Multisectoriel leur propose de mobiliser des ressources sur les différents budgets dont il dispose, soit au moins 1% de leurs budgets annuels respectifs. C’est une contribution importante qui va concourir à combler le gap financier pour enrayer cette maladie.
Défis et Perspectives
Malgré les promesses à court et à long terme du Cadre National Multisectoriel de Lutte contre le Paludisme au Cameroun, des défis nécessitent une attention particulière. Il s’agit entre autres de la mobilisation des financements, du renforcement des capacités des intervenants, de l’amélioration de la coordination entre les acteurs et de l’intensification de la recherche pour atteindre les objectifs du document stratégique et développer de nouvelles stratégies de lutte. L’heure est donc à mobilisation pour un déploiement efficace. « Nos attentes c’est que chaque ministère s’approprie le cadre. Chaque ministère désigne des équipes ou point focal (ce qui est en cours) de lutte contre le paludisme. Comme nous le savons, dans chaque ministère il y a un point focal de lutte contre le VIH/SIDA, il y avait aussi un point focal Covid. Donc il faut avoir des équipes ou point focal qui va systématiquement suivre le plan de lutte contre le paludisme du ministère, les actions que ces ministères vont mener et qui va rendre compte à sa hiérarchie de l’évolution de ce dossier », souligne Olivia NGOU.
La mise en œuvre du Cadre Multisectoriel de Lutte contre le Paludisme au Cameroun démontre l’efficacité d’une approche intégrée pour lutter contre cette maladie. Il est alors essentiel que les acteurs clés s’appliquent de manière concrète dans les efforts menés et que la coordination entre ceux-ci soit renforcée pour atteindre l’objectif de réduction des chiffres liés à la maladie, tel que visé par le Plan stratégique national de lutte contre le paludisme 2024-2028. « Nous comptons beaucoup sur ce cadre multisectoriel pour booster la lutte contre le paludisme au Cameroun et pouvoir réaliser nos objectifs cibles qui sont de réduire de 75 % la mortalité et la morbidité par rapport à la situation de l’année 2015», a relevé le Dr FOSSO.